samedi 26 septembre 2009

''Impossible n'est pas francais!''

(Avec un peu de retard)

L'impression d'etre cet evade qui, apres une course poursuite haletante, s'est refugie dans un train de marchandises et respire enfin, voyant les sirenes et les uniformes se perdre a l'horizon. Je suis cet homme qui fait route vers la liberte, se flattant d'avoir vaincu un systeme qui se croyait plus fort que lui.
J'ai passe les derniers check-points russes sans faillir, glissant quelques billets dans mon passeport au cas ou. C'est bon. J'y suis. Assis a bord du 'Batoumi Express', je quitte la Russie et son administration kafkaienne et fais route vers la Georgie. J'ai doute a plusieurs reprises mais n'ai pas lache l'hamecon de la perseverance.
Maintenant que je suis confortablement assis, laissez-moi vous narrer, pendant que sechent sur ma peau les dernieres gouttes de sueur, l'ubuesque journee d'hier.

Granitsa est une terre marecageuse, engloutie par de sombres montagnes en dents de scie. On est dans les entrailles de la Russie ou le ciel, bas et menacant, deverse un crachin continu sur des routes defoncees, des champs en jacheres et des bicoques de fortune. C'est l'entree pour l'Abkhazie. Un No man's land peuple d'ames ternes et pouilleuses, ou rode dans l'air une odeur aigre d'apres-guerre qui vous flanque la nausee. La frontiere se trouve derriere un espece de marche informe, emaille de flaques d'eau boueuse qu'il faut eviter en meme temps que les crocs des molosses.
Dix minutes de marche et l'etau des palissades se resserre. Une queue prend forme a mesure qu'on s'approche des douanes. Georgiens, Abkhazes, Armeniens mais aussi Russes venus se detendre a Sukhumi (oui monsieur...) Moins que des voyageurs, des mines de refugies emportant dans leur exode les dernieres affaires amassees: canape, frigo, planches de bois, valises en troupeaux...
Un an apres la guerre eclair russo-georgienne, la nouvelle Republique separatsite abkhaze, reconnue par la Russie, manque cruellement de produits manufactures. Alors les gens achetent en Russie se qu'ils ne trouvent pas en Abkhazie. Pour vois plus clair sur ce theatre confus, je voulais aller a Sukhumi. Probleme, j'apprends par les soldats russes que la Georgie a ferme ses frontieres avec l'Abkhazie. Le pays est un cul-de-sac et je n'ai pas franchement envie de me faire rapatrier. Je suis oblige de revenir sur mes pas, a Sochi. C'est la que ca devient interessant.

De Sochi partent des bateaux pour Batoumi (Georgie) et Trabzon (Turquie). La premiere option est un bon compromis> De plus, un bateau part dans l'heure. Je fonce a la billeterie tenue par une femme taciturne. Elle prend mon passeport, l'examine puis me le rend en secouant la tete: "Fransuze, niet". Comme ca, sans explication (les Russes n'en donnent jamais et se contentent de dire "non" ou "parce que"), on me refuse l'acces en Georgie. Pourtant, je n'ai pas besoin de visa et mes papiers sont en regle. Pique au vif, j'ai la mauvaise idee d'aller frapper a la porte du commissariat: fouille integrale, inquisition oiseuse a laquelle je comprends une question sur deux et eux aucune de mes reponses, epluchage de mes carnets de notes... tout ca pour des prunes. On me raccompagne a la sortie avec une tape dans le dos et un sourire sournois. Au pavillon international (ma derniere carte) je suis recu par un Cerbere qui ne veut rien entendre: Pas de billet, pas de discussion. De toute facon, il est trop tard, le bateau file deja au large.
Que faire, comment sortir de ce trou? je ne vais tout de meme pas aller a Moscou et me mettre a genou devant l'ambassade de France! Non, je vais, je dois trouver une solution sur place, et au plus vite.

Je retourne au centre maritime le lendemain ou j'egraine les bureaux un a un. On me regarde partout avec les yeux ronds, on hausse les epaules, on s'agace de ma presence qui derange. Je persiste et finis par obtenir un nom: Mr Kazakov. Si je mets la main sur ce bonhomme je suis tire d'affaire, j'en ai la conviction (lorsqu'on est en detresse, on se raccorche a n'importe quoi). C'est au pavillon international que je le trouve. Un type frele a la demarche raide mais qui parle quelques mots d'anglais et compatit lorsque je lui expose ma situation. Kazakov me demande mon passeport. Et la, le coup de grace: "You don't have registration". Je le regarde perplexe: "Registration?" Encore un truc a la russe> Une demarche administrative a effectuer dans les trois jours apres votre arrivee, histoire de vous mettre en regle une bonne fois pour toute. Seulement voila, ils ont eu la bonne idee de le preciser en tout petit au verso de mon laissez-passer. "You are illegal, me lance-t-il. Follow me". Il me traine a l'office d'Immigration ou un agent nous recoit dans l'indifference la plus totale, soupire et finit par nous mettre dehors. Agace, Kazakov me dit: "Batoumi no problem. Go!"
Je suis sidere par l'absurdite de la situation, la Russie est comme on l'annonce: ecrasee par un systeme insense et desuet. Cela ne m'empeche pas de remercier Kazakov jusqu'a lui en faire perdre sa casquette d'officier. D'un pas triomphant je me dirige vers la billeterie ou je lance a la caissiere: "Batoumi no problem says Kazakov!" Cette derniere qui ne veut rien savoir appelle son superieur par telephone. Je vois alors son visage prendre la couleur de la defaite. Elle raccroche et me tend une main irritee: "Passeport please!"

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