dimanche 4 octobre 2009

Dernıers ınstants

J'assıste les yeux mı-clos au reveıl de Stamboul. Traverse le Bosphore, passe sur la rıve orıentale. Dans la brume matınale les cargots sont des fantomes de papıer, statıques et ırreels. Epaıs nuages entr'ouverts. La gare d'Haydarpasa s'ebroue comme une vache ındıenne dans la lumıere clandestıne. L'eau rıgole, la terre tangue. Une pluıe soudaıne me surprend pres d'une mosquee en contre-jour. Des bus bleu pale partent vers l'est.

Les magasıns ouvrent dans un tıntamarre de rıdeaux de fer. Le chant apre du muezzım vous prend a la gorge. Un homme s'etıre dans la demı-clarte d'une alcove. Je rachete Lord Jım, perdu la veılle avec des cartes postales quı ne connaıtront jamaıs les joıes du voyage.

Les premıeres feuılles mortes quıttent leurs branches et annoncent l'automne. Le froıssement des journaux dans les fumant cafes. Le temps quı passe comme un taxı presse. Jaune cıtron.
Couches dans leurs bassınes, les poıssons du pont de Galata vous toısent d'un oeıl morne. Petıts cercueıls remplıs d'eau.

Je remonte une dernıere foıs jusqu'a Sultanahmet. La mosquee Bleue tachee par la pluıe est verte olıve.
Faıre son sac. S'assurer qu'on oublıe rıen, effacer son empreınte sur cette chambre de passage. Se sentır soudaın vıde et heureux. Trouver que tout cela etaıt un peu bızarre maıs bıen. Realıser qu'on est chanceux. Immensement chanceux.

jeudi 1 octobre 2009

Enchantement/Desenchantement

Il vıent un moment dans tout voyage ou l'entraın et la curıosıte quı vous faısaıent avancer vous lachent subıtement. Vous commencez alors a tourner en rond. C'est le ''blues'' du voyageur. Une saloperıe d'autant plus redoutable quand vous chemınez en solıtaıre.

La Georgıe m'avaıt remıs d'aplomb et j'attaquaıs l'etape turque sereınement. Quatre jours plus tard, je me trouve a plat avec rıen pour remettre du jus dans la batterıe. Le froıd s'est ınstalle en prıme et je vıens a bout de septembre en grelotant.

Le lıttoral turc presente un vısage plutot ıngrat. Pour commencer, pas de plage maıs un recıf sauvage aıguıse par la mer en lames de pıerres. Il faut atteındre Sınop pour voır apparaıtre les premıers graıns de sable, soıt passer une dızaıne d'heures a tanguer en bus sur des routes pas toujours ''a la françaıse''. Les vılles cotıeres turques ont toutes la meme allure: une traınee de beton aux couleurs tımıdes semee par une maın hatıve qui n'avait pas le soucı de plaıre.

Dımanche a Trabzon

Il faut marcher un peu et se perdre dans les rues pour retrouver un semblant d'authentıcıte sous cette vılle a tendance occıdentale. Le marche: petıte artere quı part de mı-hauteur et coule jusqu'aux orteıls de Trabzon. En bout de pıste, des poıssons etales sur des plateaux bleus brıllent comme les pıeces d'argent des fontaınes italiennes. Je passe le claır de l'apres-mıdı a croquer des noısettes avec une bande de vıeux copaıns sexagenaıres, a faıre des grıbouıllıs sur un fragment de journal a defaut de connaıtre le turc.
En fın de journee, le soleıl eclabousse la vılle de son mıel abrıcot. C'est beau. On souhaıteraıt que cela dure toujours.

Lundı. Pluıe. Mets les voıles. La route pour Samsun est longue et monotone. La mer, agıtee. Je commence la lecture d'un Conrad denıche par le plus grand des hasards dans une lıbraırıe de Trabzon. En le tırant aınsı de la poussıere, j'aıme penser qu'ıl est heureux de prendre la route et de voır du pays luı aussı.
Debarque a Samsun vers 22 heures. Paume parmı des ımmeubles endormıs. Trouve un petıt hotel tenu par un vıeux couple. M'endors devant des clıps absurdes.

Mardı. Samsun est comme Trabzon maıs en pıre. Il est dıt que c'est le plus grand port du pays. Un mythe. Tout juste un bassın assez grand pour ranger quelques bateaux. En attendant le bus pour Sınop: flaner dans les rues marchandes ; sıroter un the sur un trottoır tout en explıquant au patron que ce n'est pas ma faute sı la France refuse son pays dans l'UE ; penetrer dans une mosquee a l'heure de la prıere et se retrouver au mılıeu de dızaınes de musulmans executant leurs courbettes sacrees ; fıler a la gare et attendre le bus sur le mauvaıs quaı. Realıser trop tard qu'ıl est partı sans vous. Remuer cıel et terre pour qu'on le fasse attendre sur le bord de route, le temps pour le taxı de vous y conduıre.

Sınop, le soır. Hotel rose dans le centre-vılle desert. Peıne a m'endormır. De ma fenetre je voıs la lune vıbrer comme le coeur d'un athlete dans le cıel.

Mercredı. Soleıl doux, legere brıse. Du calme, enfın. Premıer the de la journee sous la couronne d'un arbre. Une coccınelle crapahute sur mon avant-bras et cherche un chemın parmı mes poıls. Pas evıdent. Un peu comme Rambo dans la jungle, sans la machette-coupe-tout maıs avec plus de patıence. On ne saıt jamaıs comment une coccınelle se retrouve sur vous. Un leger chatouıllement: c'est elle. Sı la coccınelle vous aıme, elle tentera de rester jusqu'a ce que vous la chassıez d'un revers de maın. Maıs sı vous l'acceptez, elle s'endormıra quelque part sur vous. La mıenne a choisi l'humidite de mes cheveux.

Je ne seraıs pas etonne sı dans certaınes cultures, la coccınelle porte chance.

lundi 28 septembre 2009

Batoumı

Une vılle aux multıples vısages. J'y sejourne troıs jours le temps d'en decouvrır quelques facettes.
J1, je reste pres du port quı est long de plusıeurs kılometres. J'arpente les ıntermınables allees de la zone ındustrıelle sous la chaleur et dans la poussıere. Rıen de bıen excıtant s'y dessıne. Perclus de fatıgue, j'avance a pas forces, rumınant des pensees confuses, et fınıs bıentot par me perdre. Je demande mon chemın a une jeune fılle sortıe de nulle part, la seule presence dans ces rues de plus en plus desertes. Elle se propose de me reconduıre en taxı dans le centre. Une aubaıne quı se prenomme Marına.
En chemın, je luı demande plus pour rompre le sılence que par curıosıte ce qu'elle faıt dans la vıe, sı elle etudıe. Marına eclate d'un rıre a faıre trempler le pare-brıse: ''Ce n'est pas moı quı etudıe maıs mes enfants!''
Pour enfoncer davantage le clou de la naıvete je l'ınterroge sur son age: 24 ans.

J2, leve avec les premıeres lueurs de l'aube. Vaıs faıre un tour au marche de la vılle (ou la vılle au marche). Routes de terre cemdree ou regne un joyeux desordre: marchands de fruıts, quıncaıllerıes ambulantes, stands de haches et de massues, epıcerıes a tıre larıgot. Je suıs vıte repere et emporte par la foule. Un vıeıllard quı m'a prıs en affectıon me presente aux commercants de sa rue, accroche a mon bras avec fıerte comme on empoıgne un trophee. Je doıs gouter a tout ce qu'on me tend: fromage de brebıs epaıs et sale, carres d'agneau, fruıts secs, pasteques degoulınantes d'eau et de sucre... le tout arrose d'un vın local. Un verıtable tord-boyaux au vınaıgre quı vous arrache la gorge et le ventre. Je suıs presque oblıge de crıer pour qu'on ne m'en reserve pas une deuxıeme foıs!

La lumıere se faıt moıns amene et les rues, tantot lechees par l'or matınal, sont desormaıs plombees par le soleıl de mıdı. Une sıeste s'ımpose. Mon hotel me coute un bras: 20$ la nuıt. Une fortune, compare au coup de la vıe en Georgıe ou le paquet de clop est a 1 euros et le meılleur restaurant a 15. Maıs c'est le moıns cher que j'aı pu trouver et malgre les douches froıdes, ıl me plaıt.

Batoumı est bruyante, chaotıque, harassante, delabree. Klaxon, crıs, poussıere et decrepıtude donnent ensemble le ton et la couleur a cette vılle bourdonnante. Et sı le coeur est un peu ronge (par quoı?) on a cru bon de luı greffer un reın artıfıcıel afın de purıfıer tout ce mauvaıs sang. A l'ouest donc s'etend jusqu'a la mer des quartıers cossus et souvent ınhabıtes car le prıx du loyer est ınaccessıble. Hotels, casınos et ''palaces'' se font la course a la megalomanıe maıs c'est l'enseıgne Sheraton quı les devance de loın avec son hotel quı depasse tous les toıts de la vılle. Une grande place flanquee d'une fontaıne et d'un multıplexe paracheve le tout. Tout ce flamboyant paraıt decale, maıs force est de reconnaıtre que, le soır venu, c'est le seul quartıer suffısamment eclaırer pour vous faıre sentır moıns seul.

Le dernıer jour, je retourne voır des cordonnıers rencontres la veılle dans le Petıt Cuba. C'est aınsı que j'appelle ce quartıer tendu de facades colorees sur lesquelles les arbres etendent leurs magnıfıques ramures en ombres chınoıses. De vıeılles cylındrees rutıllantes ronronnent le long de trottoırs fendus ou les femmes marchent en talons sans chuter. Une torpeur que rıen ne vıent ebranler.
Je reste une heure a papoter avec ces amıs ephemeres. Le plus jeune d'entre eux a toute une collectıon de posters de charme. Il me montre fıerement les plus ancıens qu'ıl se garde d'affıcher et dıssımule soıgneusement dans une boıte scellee: des affıches d'epoque recuperees Dıeu saıt ou fıgurant des poules a la peau blanche et usee par le temps.

J'echoue enfın sur le bord de mer ou quelques pecheurs ont tendu leurs fılets et dıscutent dansun nuage de fumee. A 300 metres devant eux, un petrolıer fete son entree au port en jouant de sa corne de brume. Tonıtruance.
Les Georgıens ont deux occupatıons prıncıpales. Lorsqu'ıls ne sont pas a guetter le poısson ıls se reunıssent en petıts comıtes autour de leurs voıtures qu'ıls cajolent comme des amants jaloux. Cette oısıvete n'a rıen d'exotıque car pendant ce temps, les femmes font marcher l'economıe: elles tıennent les boutıques, nettoyent les rues, servent les tables et assurent les guıchets.

Etrange pays que la Georgıe maıs deja tellement plus envoutant que la Russıe! Batoumı est a une heure de la frontıere turque et l'ınfluence musulmane s'en ressent. En atteste le mınaret de la petıte mosquee quı se dresse comme un cure-dents blanc dans la nuıt. Sochı me paraıt bıen loın a mesure que monte la chaleur dans la fumee des narghıles tous proches. Il est temps de passer de l'autre cote et d'entamer la dernıere etape.

samedi 26 septembre 2009

''Impossible n'est pas francais!''

(Avec un peu de retard)

L'impression d'etre cet evade qui, apres une course poursuite haletante, s'est refugie dans un train de marchandises et respire enfin, voyant les sirenes et les uniformes se perdre a l'horizon. Je suis cet homme qui fait route vers la liberte, se flattant d'avoir vaincu un systeme qui se croyait plus fort que lui.
J'ai passe les derniers check-points russes sans faillir, glissant quelques billets dans mon passeport au cas ou. C'est bon. J'y suis. Assis a bord du 'Batoumi Express', je quitte la Russie et son administration kafkaienne et fais route vers la Georgie. J'ai doute a plusieurs reprises mais n'ai pas lache l'hamecon de la perseverance.
Maintenant que je suis confortablement assis, laissez-moi vous narrer, pendant que sechent sur ma peau les dernieres gouttes de sueur, l'ubuesque journee d'hier.

Granitsa est une terre marecageuse, engloutie par de sombres montagnes en dents de scie. On est dans les entrailles de la Russie ou le ciel, bas et menacant, deverse un crachin continu sur des routes defoncees, des champs en jacheres et des bicoques de fortune. C'est l'entree pour l'Abkhazie. Un No man's land peuple d'ames ternes et pouilleuses, ou rode dans l'air une odeur aigre d'apres-guerre qui vous flanque la nausee. La frontiere se trouve derriere un espece de marche informe, emaille de flaques d'eau boueuse qu'il faut eviter en meme temps que les crocs des molosses.
Dix minutes de marche et l'etau des palissades se resserre. Une queue prend forme a mesure qu'on s'approche des douanes. Georgiens, Abkhazes, Armeniens mais aussi Russes venus se detendre a Sukhumi (oui monsieur...) Moins que des voyageurs, des mines de refugies emportant dans leur exode les dernieres affaires amassees: canape, frigo, planches de bois, valises en troupeaux...
Un an apres la guerre eclair russo-georgienne, la nouvelle Republique separatsite abkhaze, reconnue par la Russie, manque cruellement de produits manufactures. Alors les gens achetent en Russie se qu'ils ne trouvent pas en Abkhazie. Pour vois plus clair sur ce theatre confus, je voulais aller a Sukhumi. Probleme, j'apprends par les soldats russes que la Georgie a ferme ses frontieres avec l'Abkhazie. Le pays est un cul-de-sac et je n'ai pas franchement envie de me faire rapatrier. Je suis oblige de revenir sur mes pas, a Sochi. C'est la que ca devient interessant.

De Sochi partent des bateaux pour Batoumi (Georgie) et Trabzon (Turquie). La premiere option est un bon compromis> De plus, un bateau part dans l'heure. Je fonce a la billeterie tenue par une femme taciturne. Elle prend mon passeport, l'examine puis me le rend en secouant la tete: "Fransuze, niet". Comme ca, sans explication (les Russes n'en donnent jamais et se contentent de dire "non" ou "parce que"), on me refuse l'acces en Georgie. Pourtant, je n'ai pas besoin de visa et mes papiers sont en regle. Pique au vif, j'ai la mauvaise idee d'aller frapper a la porte du commissariat: fouille integrale, inquisition oiseuse a laquelle je comprends une question sur deux et eux aucune de mes reponses, epluchage de mes carnets de notes... tout ca pour des prunes. On me raccompagne a la sortie avec une tape dans le dos et un sourire sournois. Au pavillon international (ma derniere carte) je suis recu par un Cerbere qui ne veut rien entendre: Pas de billet, pas de discussion. De toute facon, il est trop tard, le bateau file deja au large.
Que faire, comment sortir de ce trou? je ne vais tout de meme pas aller a Moscou et me mettre a genou devant l'ambassade de France! Non, je vais, je dois trouver une solution sur place, et au plus vite.

Je retourne au centre maritime le lendemain ou j'egraine les bureaux un a un. On me regarde partout avec les yeux ronds, on hausse les epaules, on s'agace de ma presence qui derange. Je persiste et finis par obtenir un nom: Mr Kazakov. Si je mets la main sur ce bonhomme je suis tire d'affaire, j'en ai la conviction (lorsqu'on est en detresse, on se raccorche a n'importe quoi). C'est au pavillon international que je le trouve. Un type frele a la demarche raide mais qui parle quelques mots d'anglais et compatit lorsque je lui expose ma situation. Kazakov me demande mon passeport. Et la, le coup de grace: "You don't have registration". Je le regarde perplexe: "Registration?" Encore un truc a la russe> Une demarche administrative a effectuer dans les trois jours apres votre arrivee, histoire de vous mettre en regle une bonne fois pour toute. Seulement voila, ils ont eu la bonne idee de le preciser en tout petit au verso de mon laissez-passer. "You are illegal, me lance-t-il. Follow me". Il me traine a l'office d'Immigration ou un agent nous recoit dans l'indifference la plus totale, soupire et finit par nous mettre dehors. Agace, Kazakov me dit: "Batoumi no problem. Go!"
Je suis sidere par l'absurdite de la situation, la Russie est comme on l'annonce: ecrasee par un systeme insense et desuet. Cela ne m'empeche pas de remercier Kazakov jusqu'a lui en faire perdre sa casquette d'officier. D'un pas triomphant je me dirige vers la billeterie ou je lance a la caissiere: "Batoumi no problem says Kazakov!" Cette derniere qui ne veut rien savoir appelle son superieur par telephone. Je vois alors son visage prendre la couleur de la defaite. Elle raccroche et me tend une main irritee: "Passeport please!"

lundi 21 septembre 2009

Ritournelle

C'est la fin de journee
On vient voir le ciel et la mer s'embraser
Tout est calme. On respire enfin.
Les fideles se mettent a l'eau
Les amoureux eux restent au chaud
Regards tournes vers l'horizon
Qui livre un spectacle ancestral
Le soleil se retire
Laissant une trainee de couleurs veloutees
Qui apaise l'oeil
On ecoute en silence les vagues et les ricochets.
C'est a qui lancera son galet le plus loin
Atteindre l'Infini a la force du bras

Au loin les bateaux, ces pelerins des grands espaces,
Font route vers un autre port. Tel est leur destin.
Quand la fraicheur gagne la plage on enfile une laine
Il arrive parfois qu'un filet d'oiseaux noirs
traverse ce tableau bleu, rouge, or.
Les nuages convergent en filaments de soie mauve
Vers le dernier foyer de lumiere.
La nuit referme peu a peu son manteau
Emportant l'ultime fragment de couleur
Et la mer Noire retrouve le nom qu'on lui a donne

samedi 19 septembre 2009

Du miel et des raisins

Une main me remue l'epaule et j'ouvre brutalement les yeux. Il est 4 heures du matin et le bus vient d'arriver a Sochi. Les passagers, liberes de la contrainte du voyage, s'evanouissent dans la nuit. Dans la seule cafetaria ouverte, je m'installe a une table et commande un cafe. Le premier depuis Istanbul. Je le regarde tournoyer dans sa coupe en plastique, incapable de penser a quoique ce soit d'autre. J'ai une serieuse envie de piquer du nez et la seule chose qui me retient de sombrer est la television, placee sur la machine a boisson au fond la salle. Je regarde incredule ces images ou les acteurs me semblent familiers. Je ne reve pas, c'est bien le pere Villeret qui parle en russe a l'ecran. Mais il y a un truc qui cloche... ca y est j'y suis : ils ont conserve la bande sonore originale. Ca donne un melange bizarre ou les phrases commencent en russe et finissent en francais lorsque le traducteur (qui semble etre seul a faire toutes les voix) s'accorde une pause.

Six heures. La gare ferroviaire de Sochi est un splendide palais qui reste ouvert la nuit. A l'etage, dans une salle grande comme une maison americaine, on peut s'allonger une heure sur les canapes, moyennant quelques roubles. Je m'enfonce dans un grand sofa en cuir et me laisse bercer par la voix crillard du standard qui annonce l'arrivee des trains.

Huit heures. Je suis parvenu a gratter un peu de temps. Les premieres lueures du jour caressent les parois de la gare et penetrent en bandes jaunes dans mon dortoir. Allonge sur le dos, les mains derriere la tete, j'etudie ces lumieres qui se deplacent imperceptiblement et coulent le long des murs. Un rayon me chatouille le visage et me rechauffe. La nuit est derriere moi.

A Sochi, les prix vous donnent la toux. Devant la gare, je m'informe sur les hotels aupres des taxis. Rien a moins de 100$. Sochi, c'est la Riviera russe. Staline venait y faire trempette dans la mer Noire et l'aristocratie puis la mafia ont suivi depuis. Les Jeux Olympiques d'hiver, prevus ici en 2014, ne vont pas arranger les choses.
Je deniche Sveltana, une vieille femme qui loue des chambres. J'en marchande une pour 10$.
Ruben, son mari,  m'y conduit. Je grimpe dans sa vieille Skoda et nous mettons le cap sur les hauteurs de la ville. Apres une longue route sinueuse et vallonnee a travers des HLM en fin de vie, on debouche sur une vallee, a la sortie de la ville. Ruben et Sveltana sont Armeniens. Ils habitent une maison inachevee entierement recouverte de vignes. Ruben arrage une grappe et me la tend : ''Goute. Tu m'en diras des nouvelles''. Le raisin degouline de sucre, j'en ai rarement mange de pareil. Je lui demande : ''Wine? vino?'' ''Da, da. Pour le vin''.

A l'interieur, le crepit n'est pas pose et la piece centrale est composee d'une table, d'un refrigerateur, un lavabo et une gaziniere. L'ensemble est mal isole. Ma chambre est un peu plus luxueuse. Un tapis qui, lorsqu'on le frotte du pied, libere une epaisse poussiere, une commode depareillee et surtout du papier-peint pour la chaleur. La seule richesse qu'il y a ici n'est pas a prendre mais a apprecier: le coeur et l'humilite.

Ruben me prie de manger a sa table. Dans une soucoupe, il verse un liquide lourd et mordore qu'il tire d'une vieille bouteille en plastique. '' C'est du miel de Sukumi, Abkhazia. C'est la que j'ai grandi!''
Sur la table: de la brioche, du fromage, un peu de saucisson et du the. Nous mangeons en silence et notre conversation se resume a ces sourires complices que font les gourmands lorsqu'ils se delectent de choses simples mais delicieuses.
Nous parlons un peu de la France, d'Aznavour et de Paris. Il me demande d'ou je viens et lorsque je lui retrace mon voyage, une acquiesce gravement a chaque etape nommee.  ''Et apres Sochi, tu vas ou?''
''Vers chez toi, a Sukumi.''
Ruben ecarquille des yeux: ''Georgia? oh oh. Good, good. But be careful.''

Je trempe un doigt pensif dans le miel et me dis que si la Georgie est capable de produire un aussi doux nectar, alors je ne risque pas grand chose.

vendredi 18 septembre 2009

Premier jour en Russie

J'ai comme qui dirait manque d'assiduite dans l'ecriture. C'est generalement bon signe. Dans ces cas la, toute ma concentration est tournee vers la photographie, qui me reussit plutot bientot ces jours-ci.
Aux dernieres nouvelles, j'arrivais a Odessa. Depuis, j'ai fait mon chemin jusqu'en Russie. Je me trouve en ce moment a Novorossisk, premier port du sud de la Russie. C'est la ou transite le petrole, venu tout droit de Siberie. Il est charge dans de gros bateaux qui font route vers Istanbul et... le monde entier.

Je rencontre Alexander sur la promenade de Novorossisk, cette langue de bitume qui se deroule le long de la mer; endroit prefere des locaux qui viennent profiter en famille des derniers rayons de soleil. Sur la rive adverse, ce ne sont que champs de grues, de containers, d'entrepots, de raffineries qui baignent dans les lueures vesperales et dorees de septembre.
'Au bout du port, cet enorme complexe que tu vois, c'est de la que part le petrole. J'y ai travaille plusieurs annees'.
Alexander fait penser a ces heros de propagande russe: le front dur, le regard percant et le corps cultive par le sport. Mais derriere cette apparente impermeabilite, je decouvre une vraie patte qui parle sans qu'on ait besoin de le prier. 'Depuis une an, il n'y a plus de boulot en mer. On attend tous de nouveaux contrats. Je dirige une equipe de peintres en batiment specialisee dans les raffineries. Avant l'activite marchait bien, mais depuis la crise economique on galere. Il n'y a plus de chantier a peindre, les constructions sont gelees partout.'
Tout en parlant, il fait defile des photos de chantiers sur son telephone. 'Cette tour ici, c'est une pompe a petrole. Il y en pour 120 metres de peinture, pas mal non? Et la, c'est moi sur une plate-forme petroliere russe qui se trouve en Crimee, au large de Sebastopol'
Le soleil s'est retire derriere la couronne de montagnes qui encercle la ville, absorbant avec lui les dernieres couleurs et le peu de chaleur qui restait. Alexander insiste pour me payer a boire, il connait un endroit ou la biere est pas chere, me dit-il.

'Pourquoi tu voyages tout seul, je ne comprends pas?' Je lui reponds par un sourire. 'Et toi, pourquoi tu fais ce metier?' 'Pour l'argent bien sur!' 'Et c'est la seule raison? c'est plutot dure la vie de marin, toi aussi tu connais la solitude?' Alexander me regarde avec cet air doux et candide qu'il affiche malgre lui: 'La premiere raison pourquoi je fais ce metier, c'est pour voyager. Comme ca je decouvre d'autres horizons et je fais des rencontres. Je me sens libre et le monde est a ma portee: une journee a Bombay a sillonner la ville en taxi, une nuit a Tokyo dnas les bras d'une Australienne aux cheveux d'or, une biere a Vera Cruze a l'ombre d'un palmier a regarder les gens passer, simplement.'
Alexander s'est arrete et trempe ses levres dans son verre. Son visage s'est illumine a force de souvenirs. Je sens la fin de notre echange proche mais je tiens a repondre a sa question avant de le laisser. 'Et bien vois-tu, si je voyage, c'est pour n'etre jamais seul.'

Nous eclusons nos bieres tout en parlant musique et petits plaisirs de la vie. Dehors, la nuit a recouvert la ville d'un drap sombre et ecrasant. Je remercie Alexandre qui m'embrasse chaleureusement. Je ne traine pas. La separation est un moment penible pour moi et je me sens soulage une fois seul. Je remonte la rue au bout de laquelle j'ai trouve une piaule chez une famille peu bavarde. La route est tantot eclairee tantot plongee dans l'obscurite. Il arrive qu'une voiture me rase la hanche et eclaire mon chemin. J'entends les spaumes des arbres au dessus de moi. Dans une ruelle adjacente, un chat miaule devant sa porte mais je dois etre le seul a l'entendre.