samedi 19 septembre 2009

Du miel et des raisins

Une main me remue l'epaule et j'ouvre brutalement les yeux. Il est 4 heures du matin et le bus vient d'arriver a Sochi. Les passagers, liberes de la contrainte du voyage, s'evanouissent dans la nuit. Dans la seule cafetaria ouverte, je m'installe a une table et commande un cafe. Le premier depuis Istanbul. Je le regarde tournoyer dans sa coupe en plastique, incapable de penser a quoique ce soit d'autre. J'ai une serieuse envie de piquer du nez et la seule chose qui me retient de sombrer est la television, placee sur la machine a boisson au fond la salle. Je regarde incredule ces images ou les acteurs me semblent familiers. Je ne reve pas, c'est bien le pere Villeret qui parle en russe a l'ecran. Mais il y a un truc qui cloche... ca y est j'y suis : ils ont conserve la bande sonore originale. Ca donne un melange bizarre ou les phrases commencent en russe et finissent en francais lorsque le traducteur (qui semble etre seul a faire toutes les voix) s'accorde une pause.

Six heures. La gare ferroviaire de Sochi est un splendide palais qui reste ouvert la nuit. A l'etage, dans une salle grande comme une maison americaine, on peut s'allonger une heure sur les canapes, moyennant quelques roubles. Je m'enfonce dans un grand sofa en cuir et me laisse bercer par la voix crillard du standard qui annonce l'arrivee des trains.

Huit heures. Je suis parvenu a gratter un peu de temps. Les premieres lueures du jour caressent les parois de la gare et penetrent en bandes jaunes dans mon dortoir. Allonge sur le dos, les mains derriere la tete, j'etudie ces lumieres qui se deplacent imperceptiblement et coulent le long des murs. Un rayon me chatouille le visage et me rechauffe. La nuit est derriere moi.

A Sochi, les prix vous donnent la toux. Devant la gare, je m'informe sur les hotels aupres des taxis. Rien a moins de 100$. Sochi, c'est la Riviera russe. Staline venait y faire trempette dans la mer Noire et l'aristocratie puis la mafia ont suivi depuis. Les Jeux Olympiques d'hiver, prevus ici en 2014, ne vont pas arranger les choses.
Je deniche Sveltana, une vieille femme qui loue des chambres. J'en marchande une pour 10$.
Ruben, son mari,  m'y conduit. Je grimpe dans sa vieille Skoda et nous mettons le cap sur les hauteurs de la ville. Apres une longue route sinueuse et vallonnee a travers des HLM en fin de vie, on debouche sur une vallee, a la sortie de la ville. Ruben et Sveltana sont Armeniens. Ils habitent une maison inachevee entierement recouverte de vignes. Ruben arrage une grappe et me la tend : ''Goute. Tu m'en diras des nouvelles''. Le raisin degouline de sucre, j'en ai rarement mange de pareil. Je lui demande : ''Wine? vino?'' ''Da, da. Pour le vin''.

A l'interieur, le crepit n'est pas pose et la piece centrale est composee d'une table, d'un refrigerateur, un lavabo et une gaziniere. L'ensemble est mal isole. Ma chambre est un peu plus luxueuse. Un tapis qui, lorsqu'on le frotte du pied, libere une epaisse poussiere, une commode depareillee et surtout du papier-peint pour la chaleur. La seule richesse qu'il y a ici n'est pas a prendre mais a apprecier: le coeur et l'humilite.

Ruben me prie de manger a sa table. Dans une soucoupe, il verse un liquide lourd et mordore qu'il tire d'une vieille bouteille en plastique. '' C'est du miel de Sukumi, Abkhazia. C'est la que j'ai grandi!''
Sur la table: de la brioche, du fromage, un peu de saucisson et du the. Nous mangeons en silence et notre conversation se resume a ces sourires complices que font les gourmands lorsqu'ils se delectent de choses simples mais delicieuses.
Nous parlons un peu de la France, d'Aznavour et de Paris. Il me demande d'ou je viens et lorsque je lui retrace mon voyage, une acquiesce gravement a chaque etape nommee.  ''Et apres Sochi, tu vas ou?''
''Vers chez toi, a Sukumi.''
Ruben ecarquille des yeux: ''Georgia? oh oh. Good, good. But be careful.''

Je trempe un doigt pensif dans le miel et me dis que si la Georgie est capable de produire un aussi doux nectar, alors je ne risque pas grand chose.

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